Le large

Le large

Cette traversée a été la plus longue que nous ayons fait jusqu’ici : six jours de navigation. C’est presque autant de temps passé que pour notre traversée du golfe de Gascogne, mais presque deux fois plus de distance. C’est normal : pour le golfe de Gascogne, le vent venait de face, nous avons du faire des zigzagues, et donc beaucoup plus de trajet qu’une simple ligne droite.

532 miles nautiques séparent Peniche, la ville de départ, et Porto Santo, la première île de l’archipel. Soit, 990km. C’est presque la taille de la France.

Fini les chiffres, place à l’aventure ! Nous partons le dimanche vers midi, avec une bonne météo : le vent vient du nord-est, nous l’avons dans le dos. Il est assez fort, et la mer est assez formée, ce qui nous donne l’occasion de surfer sur les vagues ! Le petit Passpartout n’a jamais été aussi vite !

Comme toujours, on commence la navigation avec un petit mal de mer ! Comme le premier symptôme est de dormir, celui ou celle qui n’est pas de quart ne se prive pas pour faire des siestes. Maintenant de toute façons, quelle que soit l’heure : celui qui n’est pas en charge du bateau va dormir ! La dernière grande traversée, nous étions trois. Maintenant nous ne sommes que deux, alors forcément, les quarts de sommeils sont plus courts.

Le soir, la mer est toujours un peu formée et le vent souffle, on se fait un petit plaisir : un gâteau marbré au chocolat qu’on avait préparé avant le départ !

Le vent baisse un peu, on peut changer de voile et mettre le spi à l’avant : cette grande voile permet de nous faire conserver une bonne vitesse.

L’horizon est toujours lisse, la mer à l’infini, et pas d’humain à des kilomètres !

Cette traversée aura été très solitaire : on ne croise qu’un seul voilier pendant tout le trajet, et quelques rares navires de commerce au loin. Parfois, voici quelques oiseaux : ce sont des puffins anglais. Ces oiseaux ne suivent pas les bateaux, on les voit planer au dessus des vagues, mais jamais bien longtemps.

Soudain, dans l’immensité bleue, on voit une forme brune : la première chose à laquelle on pense, c’est un énorme crabe ! Mais non : c’est une tortue ! Le courant et le vent l’emmènent dans la direction opposée de nous, cette observation est bien trop rapide à notre goût. Nous en croisons trois fois. A la dernière, nous sommes bien attentifs et la voyons plonger dans la vague, magnifique !

C’est étrange combien l’oeil finit par détecter, dans un paysage complètement uniforme, le moindre élément qui dénote. Ici, on voit une zone lisse, sur la surface d’une mer ridée par le vent. Voici un autre compagnon de voyage : la galère portugaise. Malgré son nom, ce n’est pas un vieux bateau fantôme ! Ce qui pourrait ressembler à un genre de méduse transparente est en fait un groupe d’organismes qui vivent assemblés. Nous vous en parlerons plus longtemps une prochaine fois !

Il n’y a plus de vent, le bateau fait du surplace. Pendant plusieurs jours, nous avançons à peine.

On a beau faire nos points sur la carte, cela ne sert pas à grand chose, nous sommes presque au même endroit que six heures avant. Le temps, rythmé par tranches de trois heures, n’a plus la même valeur qu’à terre. Nuit, jour, solitude. Nous ne discutons pas beaucoup, car lorsqu’on finit son quart, on a surtout envie de dormir. Et de toute façons, à part faire un petit topo sur l’état de la mer, du vent et du bateau, on n’a pas vraiment envie de parler. La haute mer fait rentrer dans un autre état, où tout est différent. C’est de l’ennui, d’une certaine façon, mais un ennui agréable, où on laisse filer le temps. Un mélange de fatigue, d’attente, difficile à décrire. On lit, on regarde l’océan, infini. Changer une voile ou faire un repas devient une vraie occupation, qu’on va même parfois repousser à plus tard. On fait corps avec le bateau. Quand le vent s’arrête, on a l’impression qu’il manque quelque chose, ce n’est pas le problème de ne pas avancer, nous ne sommes pas pressés. C’est qu’il manque quelque chose, la fluidité d’un voilier avec son environnement. Quand la brise repart, même infime, voilà Passpartout qui repart et l’on se sent mieux, tout rentre dans l’ordre.

C’est une période de pleine lune. Il n’y a pas un nuage dans le ciel.

La nuit, la lumière est telle qu’on n’a pas besoin d’allumer notre lampe frontale. Le bateau est éclairé, on y voit comme en plein jour… mais en noir et blanc ! Les reflets de la lune scintillent sur la mer. Tout est tellement calme.

Même si on est bien au milieu de l’eau, le vent de retour est le bienvenu : il faut quand même arriver !

Les 24 dernières heures sont plus sportives : on prend des ris dans la grand voile et Passpartout file à nouveau vers sa destination. Maintenant on navigue au près, nous sommes chahutés par les vagues qui viennent nous frapper par le côté, et le bateau est plus ardent.

Soudain, terre en vue !

Qu’on ait l’habitude du large ou non, l’émotion est toujours là quand on aperçoit au loin l’arrivée. Après des jours d’horizon bleue, la présence d’une terre est pleine d’émotion. Pour nous, c’est aussi celle d’avoir réussi notre plus longue traversée à deux. Il y en aura d’autres, de plus longues et des plus dures, mais celle-ci aura été notre première expérience de haute mer en duo, qu’on n’oubliera pas. L’île de Porto Santo se dessine progressivement entre les rayons du soleil et des gros nuages bloqués par les sommets. Cette fois-ci, ce n’est pas un continent qui nous accueille, ou une île près des côtes. C’est un vrai archipel, avec ses îles volcaniques, perdues au milieu de l’océan. Enfin, nous y voilà !